- Dis moi pourquoi.
- Pourquoi quoi, lui répondit il.
- Pourquoi tu peux plus m’aimer comme avant, pourquoi tu peux plus me faire l’amour, pourquoi tu peux même plus me baiser non plus ? Pourquoi ?
Ses yeux étaient secs, mais son regard était lourd de la souffrance qu’elle portait en elle.
Il dégagea les draps et s’assit au pied du lit.
- Arrête avec ça. Tu sais bien que je t’aime comme avant, je suis crevé c’est tout.
Elle regardait dans le vide. Elle avait entendu ça bien trop souvent, elle n’écoutait même plus.
- Oui, c’est vrai, j’oubliais, tu es crevé, tu es toujours crevé, et aimer, c’est si fatiguant, ça demande tant de force….Surtout ne t’épuise pas pour moi.
- Arrête tes conneries, tu as très bien compris ce que je veux dire.
- Oui, je comprends très bien ce que tu veux dire, mais est ce pour autant la vérité, j’en doute. Ca fait des mois que tu me touches plus, ça fait des mois que j’ai envie d’être aimée, qu’on me fasse l’amour avec tendresse, ça fait tellement longtemps que j’attends que tu te réveilles, que j’en suis arrivée a un point où j’aimerais juste que tu me baises, même si ça dure 5 minutes, je m’en fous, je veux redevenir humaine.
- Parce que te prendre en vitesse dans la salle de bain c’est être humain ça ? Mais arrête un peu, je te l’ai dit, je suis fatigué.
- Ecoute moi bien, dit elle avec un sang froid qui gela les secondes, si tu me redis encore une fois, une seule fois, aujourd’hui, demain ou dans 6 mois, que tu ne me touches plus parce que tu es fatigué, je te quitte sur le champs. Tu as bien saisi ? Je ne te le dirais qu’une fois. C’est la dernière.
Il la regardait, stoïque. Un gouffre s’ouvrait en lui, mais il ne pouvait pas le laisser paraître, sinon, il devrait s’expliquer, tout dire. Et ça lui était impossible. Mais il sentait que là, la limite était franchie pour elle. Qu’il la perdait. Il tenta une certaine approche.
-Arrête, mais qu’est ce qu’il y a ? Pourquoi tu me menaces tout d’un coup, t’es pas bien dans ta tête, faut arrêter là…tout ça parce que j’ai pas envie de baiser, tu me dis que tu vas te casser ? N’importe quoi ! Figure toi que moi j’ai pas envie de te baiser comme un chien, je te respecte moi, je vais pas te sauter dessus comme ça, juste parce que j’ai une pulsion parce que ton cul me plait tout d’un coup dans ta nouvelle jupe…T’es plus qu’un objet sexuel pour moi merde !
La meilleure défense, c’est l’attaque. En temps de guerre, peut-être. Pas quand on a un fusil braqué sur la tempe.
Elle était calme. Comme résignée, habituée, comme si elle avait entendu ça des milliers de fois. Et c’était le cas.
- Je m’en fous. Je m’en fous que tu t’énerves, que tu pleures, que tu ne me comprennes pas, que tu m’aimes encore. Je m’en fous. Je veux savoir. Je veux la vérité, car la seule personne qui n’en peut plus ici, c’est moi. Je n’en peux plus de toi, de moi, de nous, je n’en peux plus de chercher des solutions dans tes réponses, de chercher ce que j’ai fait de mal, de me lever le matin pleine d’espoir, d’y croire toujours pour deux, de me pomponner le soir avant que tu arrives pour que tu soies content de me retrouver, et être seule a tes cotés parce que tu ne m’as même pas regardé. Parce que tu t’en fous. J’en peux plus de venir toujours vers toi, d’être rejetée, d’écouter tes excuses bidon, de pourtant continuer d’essayer de comprendre, j’en ai assez. C’est moi qui suis fatiguée. Parce que oui c’est humain de vouloir être aimée, désirée, même 5 minutes dans la salle de bain comme tu dis. Alors soit tu déballes tout maintenant, qu’importe ce que tu as à me dire, que tu ne m’aimes plus, que tu es homo, que tu en as une autre, que je te dégoutte, je m’en fous, rien de ce que tu vas me dire ne peut être pire que ce que je vis au quotidien depuis des mois. Rien, tu comprends ce que je te dis ? Je t’aime assez pour entendre que tu n’en peux plus de moi, mais je ne t’aime plus assez pour subir tout ça plus longtemps. Il faut que tu saisisses maintenant l’urgence. Maintenant, pas demain, pas dans 10 jours, Maintenant. Tu me dis tout maintenant. Maintenant. J’en peux plus. C’est moi qui suis fatiguée, alors c’est maintenant.
Il était effrayé. Il savait qu’un jour viendrait où elle lui dirait tout ça. Mais pas maintenant justement. Il fallait tout dire. Mais dire quoi exactement ? Qu’il l’aimait comme un fou, mais que comme tout, l’amour ça s’use. Qu’il ne voulait pas d’autres femmes, pas du tout, mais que c’est juste cette vie, la vie qu’il ne désirait plus. Qu’il avait perdu le gout de tout. Et qu’il ne retrouvait plus son goût a elle, que ça le terrorisait, parce qu’il ne voulait pas la perdre, mais il s’était perdu lui, et qu’il avait abandonné depuis longtemps de se rechercher. Alors comment la retrouver elle ? Comment lui dire tout ça ? Comment lui dire pour qu’elle comprenne autrement qu’en lui disant qu’il était fatigué ?
- C’est toujours de ma faute hein ? Mais si je te rends autant malheureuse, qu’est ce que tu fous là ?
La meilleure défense…
Elle n’avait même pas la force de s’insurger contre sa mauvaise foi, de se mettre en colère contre ce genre de propos. Elle le regardait, elle attendait sa réponse.
***
Le silence était bruyant, gênant, paniquant. Il savait que ça ne prendrait pas la direction d’une dispute quelconque cette fois ci. C’était maintenant.
- Mais je t’aime putain, qu’est ce que tu veux que je te dise ? J’ai personne d’autre. Il n’y a que toi dans ma vie…mais putain je sais pas ce que tu veux entendre. Je t’aime moi.
Son visage s’embrumait. Son regard affolé disparaissait derrière des larmes de culpabilité. Il ne pouvait pas. Pas expliquer, pas dire, argumenter l’indescriptible. Il était juste perdu dans cet instant.
Elle baissa la tête. Elle ne pouvait pas aller le prendre dans ses bras encore une fois, même si elle ne supportait pas de le voir souffrir. Pas cette fois. Alors quoi faire ? Lui faire du mal pour qu’il réagisse….
- J’ai quelqu’un d’autre.
Il s’arrêta de pleurer. Bizarrement, cette nouvelle ne lui faisait pas mal, mais il était tellement surpris de cette révélation que ses 5 sens s’arrêtèrent de fonctionner pendant quelques secondes.
Elle ne savait pas quoi rajouter. Tout était dit.
- Depuis quand ?
Elle avait envie de lui dire que c’était depuis 5 secondes, car ce n’était pas vrai, mais il lui fallait engager le processus vraiment, sinon comment pourrait-elle lui demander d’en faire autant. Même si cette fausse révélation était pathétique, même si elle espérait le faire réagir, qu’il lui saute dans les bras en lui disant qu’il s’excuse, qu’il l’aime, que ça va aller ou même qu’il devienne jaloux, violent, qu’il pleure, qu’il la déteste, n’importe quoi pourvu qu’il réagisse.
- Depuis deux mois.
- C’est qui ?
- C’est vraiment important ?
- Il est assez important pour que tu m’en parle non ? Alors vas-y.
La vérité c’est qu’elle ne savait pas quoi dire, elle savait qu’elle s’engageait sur un chemin sans retour, que ce mensonge n’allait l’aider en rien, et surtout au bout, il y avait la rupture. Elle avait peur tout d’un coup, elle réalisait que c’était maintenant.
- Non, il n’est pas assez important pour que je t’en dise plus. Il est là c’est tout.
- Et qu’est ce que tu vas faire ?
Cette phrase la sortit de son immobilité, elle la prenait comme une autre claque. La colère l’emporta.
- Qu’est ce que je vais faire moi ? C’est ça que tu oses me demander ? Je te dis que j’ai quelqu’un d’autre et c’est tout ce que ça te fait ? Même ça t’es pas capable de le prendre en main ?!! Même ça tu vas encore me le laisser vivre seule, elle pleurait, je te déteste dans le fond d’être toi, j’ai pas mérité ça. J’ai personne d’autre dans ma vie connard, j’ai personne d’autre que toi, et c’est ça qui me flingue...je me déteste de t’aimer a ce point. Et toi tu fais rien, t’es juste là pour être là, t’en as rien a foutre...mais c’est toi qui es handicapé, pas moi, c’est toi qui devrait te casser pas moi. Mais même ça, t’auras jamais les couilles de le faire. Tu préfères que ce soit moi qui prenne la décision, pour que ce soit moi qui regrette de t’avoir quitté ou d’être restée.
***
Elle avait envie de se jeter sur lui et de le frapper à n’en plus finir, pour qu’à chaque coup, il souffre d’elle comme elle souffrait de lui. Mais elle savait que là aussi il se laisserait faire. Il n’y avait plus rien à faire pour le remuer, il n’y avait rien, il n’était rien. Et pourtant, il était encore tout pour elle malgré la haine et le désespoir.
Il la regardait, il se sentait inutile au milieu de cette atmosphère si lourde en rancœur, il ne savait pas quoi dire, il ne trouvait pas l’argumentation qui fait avancer le débat, le reproche pour l’attaquer davantage, lui dire en tendresse ce qu’il l’aimait, lui faire oublier la douleur par son sourire ou comment la prendre à nouveau dans ses bras sans que ça ne passe pour une insulte. Il le savait, il savait qu’elle avait raison, que c’était un lâche, un oublieur, un aveugle volontaire, mais la vérité c’est qu’il ne savait pas quoi avancer comme preuve de sa bonne foi, il l’aimait, voulait être avec elle, l’accompagner dans sa vie et vice versa. Il était muet, parce que son silence était la seule défense qui lui restait. Sauf que pour elle le silence était un outrage de plus.
- Va t’en, lui dit- elle.
- Tu es sure que c’est ce que tu veux ?
- Non, ce n’est pas ce que je veux, ce que je veux c’est que tu soies fou de moi au point de te dépasser toi-même et de me faire sentir par tous les moyens que tu m’aimes, que tu es là dans ma vie, pas parce que ça te va bien, mais parce que tu m’as choisie, mais ça, je sais que ça n’arrivera pas, ça n’arrivera plus, tu n’en es pas capable ou tu ne m’aimes pas assez, j’en sais rien, je m’en fous, alors au lieu de te demander ce que je veux, je te demande ce que tu peux. Ce que tu es capable de faire. Puisque ça fait des mois que tu es loin, autant que ça ne soit plus une métaphore mais une réalité. Alors va-t’en. Ca je sais que tu en es capable.
Il était transpercé par tant de lucidité. Elle le connaissait donc dans son entièreté. Elle avait tout digéré de lui pour être capable a ce point de savoir ce qu’il avait dans le ventre. Elle voyait tout donc. Sauf l’essentiel, sa déchirure, celle qui tuait sa vie, celle qui lui prenait tant de place au point de briser leur amour, ça elle ne le voyait pas. Cette tache qui lui cachait le soleil, elle, elle lui était donc invisible. Elle le connaissait comme une machine, mais elle n’était donc pas capable de le réparer….
- Oui, tu as raison, ça je suis capable de le faire pour toi
Il enfila son jean, se leva et sorti de la chambre.
***
« Ca y est, c’est fini » se dit-elle. Elle s’assit par terre, la tête dans les genoux et se mit à pleurer lentement en silence. Chaque larme représentait une douleur, une phrase dite, un geste attendu et jamais arrivé. Elle se libérait de son mal pour faire place a celui du deuil. Elle repassait tous les moments douloureux de leur histoire. Et maintenant, elle le savait, plus d’attente, c’était le moment de reconstruire. Le plus dur dans une histoire, ce n’est pas que l’autre parte, mais qu’il ne vous aime plus, que vous ne soyez cet être spécial dans sa vie. Mais ce nouveau départ était déséquilibré, perdu d’avance, car il resterait spécial pour elle, pour toujours. Elle pleurait sans respirer, regarder. Sans se demander comment elle allait faire sans lui, comment elle pourrait guérir, aimer à nouveau, espérer encore avec un autre. Tout ça dans l’instant était superflu, car elle le pleurait lui finalement, et rien d’autre n’avait d’importance. Elle pleurait encore et toujours sans se soucier de rien, sans écouter. Et elle ne l’entendit pas rentrer à nouveau dans la chambre, elle ne le senti pas s’asseoir à ses cotés.
- Tiens, lui dit-il.
Elle sursauta. Il lui tendait une bière. Elle essuya son visage et prit machinalement la bouteille. Ils restèrent un bon moment tous les deux sans rien dire, en buvant.
– Tu sais que les oies sont des animaux fidèles ? Si le mâle ou la femelle meurt, l’autre se laisse mourir aussi. C’est mon oncle qui m’a dit ça quand j’étais petit. Il en avait plein dans un enclos. Chaque année, il y en avait un des deux qui voulait s’envoler, seul, peut-être qu’il pensait que l’autre le suivrait instinctivement. Mais non. Y’en avait toujours un qui s’échappait, on le voyait voler en tournant autour de l’enclos comme pour dire à son partenaire « Regarde où je suis, si j’y arrive, c’est que tu peux le faire, suis moi ! » et puis, souvent comme il découvrait la liberté, il allait voler plus loin, et puis plus loin, et on le revoyait jamais car souvent des chasseurs le tuait. Et celui qui restait dans l’enclos, seul, et bien il ne bougeait plus, ne se nourrissait plus et finissait par mourir.
Elle s’en foutait de ce qu’il racontait. Mais elle l’écoutait, résignée, comme pour profiter de leurs derniers instants ensemble.
- J’ai toujours cru que ce serait facile entre nous. Je sais que tu m’aimes, et je crois que tu sais que je t’aime aussi. Mais je n’arrive pas à être à la hauteur. A ta hauteur. Toi, tu es partie très loin, tu t’es envolée trop vite, en me croyant à tes côtés, sauf que moi, je suis comme cette conne d’oie qui reste à terre et se laisse mourir. J’ai pas eu ton intelligence, ton courage pour réussir à m’envoler et à te suivre. Moi je me suis laisser crever tout seul. Je peux pas te dire pourquoi, comment, parce que. C’est comme ça. C’est vrai que je suis un lâche, que je ne fais rien, mais c’est parce que je ne sais pas quoi faire et que ça me terrorise encore plus. Toi tu as tout fait pour nous, pour moi. Ne crois pas que je n’ai jamais rien vu, je l’ai toujours au contraire très bien remarqué. Cette force que tu as de te battre m’a toujours sauté au visage et m’a renvoyé l’image de celui que je suis. Mon incapacité. Mon inaptitude à t’aimer comme tu le mérites.
- C’est trop facile de dire que c’est à cause de moi. Je ne veux plus t’écouter.
- C’est dommage. Je croyais que c’était maintenant. Je croyais que tu voulais que je soies assez fou de toi pour tout déballer maintenant. Assez fou de toi pour te dire que je suis un connard qui t’aime. Que tu n’as pas de chance, tu es tombée sur moi. Et c’est vrai que tu mérites pas tout ça. Que je ne te mérite pas. Je ne peux pas te promettre monts et merveilles. C’est toi ma merveille. Je te trouve plus belle tous les jours, même quand tu es malheureuse. Et tu es malheureuse tous les jours davantage. Mille fois j’ai voulu, j’aurais pu, mille fois j’ai pensé, et mille fois j’ai rien fait. Oui, c’est vrai. Mille fois j’ai préféré penser a ta peau que la toucher, mille fois j’ai préféré te fantasmer et rêver te faire l’amour que de te faire jouir vraiment, mille fois je me suis rappelé ton sourire au lieu de te faire rire. La vérité, c’est que je suis tout petit à côté de toi et que j’ai peur que tu t’en rendes compte, et te garder à distance a été la seule solution pour moi pour te faire m’aimer davantage. C’est certainement l’excuse la plus conne du monde, mais je crois sincèrement que c’est ma vérité. Parce que je suis un pauvre mec, que j’ai pris conscience de ma viduité avant que toi tu ne t’en rendes compte, et j’ai rien fait parce que toi tu me demandes d’être mon contraire. Et que je sais que j’en suis pas capable. Je suis comme cette conne d’oie qui s’envole pas alors qu’elle a deux putain d’ailes.
Elle était touchée en plein cœur. Il parlait, elle ne bougeait plus. Elle savait qu’il fournissait un terrible effort pour lui avouer tout ça. Mais comme tout être à qui on donne, il lui en fallait plus.
- Je te comprends vraiment pas. Je t’ai jamais demandé d’être un autre. J’ai juste voulu que tu m’aimes et que tu me le montres, parce que j’en ai besoin, parce qu’un couple c’est deux. C’est quand même pas la mer à boire quand on aime vraiment quelqu’un.
- Tu as entièrement raison. Ce n’est pas la mer à boire. Même quand on aime quelqu’un de la plus mauvaise des manières.
Il tendit son bras doucement, et lui recouvra sa main de la sienne.
- Et tu n’as pas toujours été comme ça. Au début, je sentais qu’on partageait, que tu m’aimais. Et c’est exactement ce que je te demande aujourd’hui. Pas plus, ni moins.
- On en demande toujours plus.
- Oh….arrête avec tes phrases philosophiques, tu me soules. Je suis fatiguée.
Il sourit quand elle prononça cette phrase.
- « Si tu me redis encore une fois, une seule fois, aujourd’hui, demain ou dans 6 mois, que tu es fatigué, je te quitte sur le champ » dit-il en prenant une voix de femme.
Elle le regarda et éclata d’un tout petit rire fébrile malgré ses larmes.
- Je sais que je dois partir, mais je n’en ai pas envie. Qu’est ce que je dois faire, qu’est ce que tu veux que je fasse ?
- Je ne sais pas, et même si je le savais, je ne te le dirais pas, c’est à toi de chercher et trouver, de savoir si il vaut mieux faire ce que tu as à faire, ou faire ce que tu as envie. Je ne t’aiderais plus.
Ils se regardèrent. Elle avait laissé sa main sous la sienne.